Lorsque le climat est source de maladies
Dans les vallées alpines, les vagues de chaleur, la pollution atmosphérique et autres phénomènes météorologiques extrêmes peuvent être d’une ampleur bien plus forte et durer plus longtemps que dans les plaines. Heinz Fuchsig, médecin de l’environnement à Innsbruck, en Autriche, nous explique pourquoi il en est ainsi et ce que peuvent faire les habitant·e·s et les communes pour s’en prémunir.
La ville autrichienne la plus menacée par la chaleur n’est pas Vienne, mais Innsbruck. Durant l’été 2003, la ville a connu 44 jours avec une température supérieure à 30 °C. En juin, les températures moyennes y sont déjà de 4 °C plus élevées que dans les années soixante-dix. La neige qui manque aux montagnes alentour et le taux d’humidité de l’air plus élevé limitent le rafraîchissement de l’air durant la nuit, qui se produisait autrefois normalement. Les orages à fortes précipitations le soir sont de plus en plus rares, et les rues et autres surfaces chauffées refroidissent peu. La sécheresse augmente également le risque de feux de forêts. De manière générale, le réchauffement est plus rapide dans les Alpes que dans les basses terres : dans les vallées, un pic de chaleur estival prolongé peut causer des températures supérieures à 40 °C, extrêmement dangereuses.
La chaleur concerne tout le monde
Un cinquième de la population européenne est déjà considéré comme vulnérable à la chaleur. Cela concerne les plus 75 ans, les diabétiques ou les personnes ayant une maladie des reins. Les jours secs, des énormes hausses de températures de 20 °C peuvent se produire. Durant les nuits tropicales (nuits durant lesquelles la température ne descend pas en-dessous de 20 °C), une augmentation massive du flux sanguin cutané causée par la chaleur surcharge l’activité du coeur – en particulier chez les personnes âgées ou malades, mais aussi chez les femmes enceintes et les enfants. Les entrepreneur·euse·s se plaignent des performances de leurs employé·e·s, ces dernier·ère·s ne dormant pas assez la nuit. Ce problème est particulièrement marqué sur les lieux de travail non climatisés. En cas de chaleur, la pratique sportive ou une activité physique intense en plein soleil, la déshydratation et un comportement inadapté (en particulier en cas de démence ou de prise de certains médicaments) peuvent entraîner un coup de chaleur. À cette occasion, la température corporelle dépasse les 40 °C, causant une perte de l’orientation ainsi que des crampes, et plonge la personne dans un coma jusqu’à la mort par défaillance multiorganique.
Quelles mesures les communes prennent-elles?
La ville italienne de Bolzano a déjà mis en place des espaces frais, composés d’arbres feuillus fournissant de l’ombre, de fontaines, de réservoirs d’eau, de toilettes, de chaises longues et où des repas sont mis à disposition. À Graz/A, le « Dom im Berg » et la patinoire offrent deux vastes zones de rafraîchissement où les habitant·e·s peuvent se détendre loin de leurs logements surchauffés. De manière générale, les villes devraient créer des surfaces claires afin de ne pas laisser la chaleur s’installer. Il est également nécessaire de réduire les effets de la chaleur produite par des milliers de climatiseurs résidentiels et moteurs à combustion interne. Il faut à la place développer les infrastructures piétonnes et cyclistes, les transports en commun ainsi que les véhicules électriques. Les façades végétalisées et les rues bordées d’arbres et d’espaces verts fournissent de l’ombre et favorisent le refroidissement par évaporation, l’activité physique et les interactions sociales. L’évaporation est source de rafraîchissement, mais également d’humidité : pour le corps humain, une température de 29 °C à un taux d’humidité relative de 65 % équivaut à une température ressentie de 32 °C à un taux d’humidité de 40 % – le simple fait de végétaliser les lieux ne suffit donc souvent pas. Les pompes à chaleur rafraîchissent les bâtiments et permettent de convertir la chaleur en eau chaude sanitaire ou en énergie géothermique.
Les conditions météorologiques extrêmes et leurs dangers
La chaleur n’est pas le seul phénomène météorologique extrême qui présente une menace à notre santé. Du fait de la hausse de l’humidité, les orages et les précipitations sont de plus en plus violents. L’asthme d’orage est de plus en plus courant : le pollen se décompose sous l’effet de la charge électrostatique, des processus osmotiques et du gel-dégel, atteint les bronches, et provoque de l’asthme chez les patient·e·s allergiques au pollen. Lorsque des forêts brûlent sur les versants sud escarpés, les personnes vulnérables vivant sur les territoires en contre-haut doivent être évacuées et un plan catastrophe par étapes mis en place. Les communes menacées ont notamment besoin de suffisamment d’eau d’extinction. Dans les régions de montagne, les fortes pluies – dont, tout comme les vagues de chaleur, la fréquence et la durée augmentent du fait du changement climatique – sont à l’origine de glissements de terrain et de coulées de boue. Les personnes malades et fragiles sont alors souvent privées d’accès aux soins médicaux. D’autres, souvent après avoir connu les séquelles de graves intempéries à plusieurs reprises, sont traumatisées et paniquent à chaque coup de tonnerre.
Pollution de l'air
Chaque année, en Autriche, 2 000 personnes meurent des conséquences de la pollution de l’air. La combustion de bois et de biomasse se fait actuellement à grande échelle et sans cogénération. Sans développement significatif de l’énergie éolienne, nous nous dirigeons vers des pénuries de courant durant l’hiver. En amorçant une transition énergétique protectrice du climat, nous protégeons également notre santé. Cependant, la mesure la plus importante serait de réduire la quantité de suie dans les fours individuels et les moteurs diesel non filtrés. Ainsi, l’ajout des filtres à particules diesel – mesure mise en oeuvre sur l’ensemble de son territoire seulement par la Suisse parmi les pays alpins –, aux machines de chantier, dameuses et aux groupes diesel-électrogènes permet de réduire considérablement la quantité de suie. C’est également une des mesures les plus efficaces pour protéger le climat, car la suie a un potentiel de réchauffement élevé, mais disparaît, à l’inverse du CO2, après seulement quelques mois.
Tiques, allergies et néobiotes
La hausse des températures moyennes permet aux propagateurs de maladies comme les tiques de survivre à des altitudes allant jusqu’à 1 800 m. Les personnes allergiques sont également affectées par la prolifération de l’ambroisie à feuilles d’armoise. Le long des chemins de forêts, le contact cutané avec des berces du Caucase en cas d’ensoleillement provoque des brûlures graves (phototoxicité). Les conséquences des maladies sont par exemple moins graves dans le Canton suisse du Tessin, qui a pris des mesures contre les plantes néophytes, que dans la Lombardie italienne voisine. Les moustiques-tigres se sont déjà propagés le long des autoroutes, d’où ils commencent à coloniser les vallées. À l’heure actuelle, il n’existe pas de documentation au sujet de la transmission des nombreuses maladies tropicales dont ils sont susceptibles d’être porteurs. Dans les Alpes, nous étions habitué·e·s à nous entraider durant les périodes de grand froid hivernal ou de crise. L’économie pour le bien commun (Sharing Economy) et la
sobriété étaient autrefois fondamentales ; le mot allemand « Alm » (alpage) est dérivé du terme « Almende » signifiant « biens communaux ». Compte tenu des nombreuses menaces sanitaires liées au climat, il convient de donner des signes d’espoir sur les plans social et économique. Dans la région alpine, ce n’est pas seulement la jeunesse, mais tout le monde qui en a besoin.
Heinz Fuchsig est médecin du travail et de l’environnement et expert certifié. En tant que référent en matière d’environnement à la Chambre des médecins autrichienne et directeur du cours de médecine environnementale, il s’engage pour le respect de la nature, par exemple à travers son immeuble d’habitation presque entièrement décarboné, à Innsbruck. En Autriche, cet immeuble résidentiel est le premier à avoir été certifié d’après les critères de l’économie pour le bien commun, et a été récompensé à plusieurs reprises pour sa durabilité sociale et écologique. Heinz Fuchsig est membre du Club de Rome et vice-président de l’organisation « Health for Future » en Autriche. Il passe son temps libre avec ses enfants adultes, sa femme et ses ami·e·s, ou seul dans les montagnes.