« Penser de manière plus collective est une grande opportunité »

Encourager le débat, penser de manière moins perfectionniste et ne pas faire cavalier seul : voilà comment mieux traiter l’éco-anxiété et autres problèmes psychiques liés à la crise climatique, explique Anna Pribil. Elle est psychologue de l’environnement, éco-consultante et est engagée auprès de l’association « Psychologists4Future » en Autriche.

Quelles sont les émotions qui dominent vis-à-vis de la crise climatique ?
Ce sont la peur et la colère. À cela s’ajoutent parfois désespoir et tristesse. Mais il existe également des gens qui associent cela à des émotions positives, en gardant espoir et en portant un esprit de renouveau. La colère est dirigée vers les partis politiques, qui réagissent bien trop lentement. Plus on s’intéresse au sujet, plus les émotions liées au climat peuvent être fortes. 

Quelles conséquences ont ces émotions ?
L’éco-anxiété n’est pas une pathologie. Il s’agit d’une réaction naturelle à une menace réelle, pas d’une peur irrationnelle. La plupart du temps, la charge émotive reste supportable et les personnes concernées parviennent à bien gérer leur quotidien. Dans certains cas, rares, se développe une dépression ou un trouble de l’anxiété. La vie quotidienne est alors affectée, la·le patient·e est comme dans un état de choc et ressent une sensation de déréliction. 

Comment faire pour améliorer la situation ?
Changer les choses sur lesquelles on peut exercer une influence. À cet effet, il est important de ne pas individualiser la crise climatique, mais au contraire d’attirer l’attention sur le fait que ce sont les structures et les systèmes qui doivent être modifiés. Il est également important de se joindre à d’autres personnes aux opinions similaires, car on agit mieux en groupe. Je trouve le concept d’empreinte écologique très utile, car il est adaptable. Encourager la synergie et provoquer un effet domino au sein de la société peut être une source de motivation. Relativiser les exigences de perfection en matière de durabilité, que l’on s’est soi-même fixées, peut également aider à éviter les moments de frustration. Dans un système imparfait, personne ne peut vivre de manière parfaitement durable.

Y a-t-il des problèmes dans la manière de parler de la crise climatique ?
Bombarder les gens d’informations sur la crise climatique ne les conduit pas à modifier leur comportement, mais cela renforce plutôt l’ethnocentrisme. On dévalorise les autres groupes et valorise le sien : « C’est la Chine et l’Inde qui doivent agir. L’Autriche est trop petite, on ne peut pas avoir d’influence. » Une couverture médiatique fournissant des instructions concrètes peut tout à fait conduire à un changement dans les comportements. Naturellement, le choix des mots est également important : changement climatique ne convient pas vraiment, car un peu trop passif et naturel. Il vaut mieux parler de crise climatique ou catastrophe climatique. Il en va de même pour le terme objectif de 1,5 ° C, qui devrait s’appeler limite de 1,5 ° C. 

Comment peut-on se préparer aux conséquences sociétales de la crise climatique ?
Cela ne peut se faire que de manière solidaire. C’est pourquoi je trouve la mise en réseau si importante ; on échange des idées et développe des solutions et stratégies ensemble. Par ailleurs, il y a un phénomène d’ignorance pluraliste : on pense toujours que la majorité des gens a une opinion différente de la sienne. Pourtant, en Autriche, 60 à 70 pour cent des gens déclarent que la protection du climat est importante. C’est la majorité. Il faut que l’on se fasse entendre et que l’on parle de manière proactive. En effet, tout comme il existe un point de bascule climatique, il y a un point de bascule sociale. Lorsqu’un certain nombre de personnes s’engage pour une cause, on atteint un certain point, à partir duquel la transformation se produit plus rapidement.

Que pouvons-nous apprendre de la crise climatique ?
À mon sens, le positif réside dans la faculté à agir ensemble qui peut en résulter. C’est un grand enrichissement qui nous offre l’opportunité d’aborder les émotions d’une manière plus réfléchie. Dans une société de la performance, où l’on doit toujours être meilleur·e et plus rapide, il arrive souvent que l’on se renferme sur soi-même. La crise nous offre la possibilité de transformer cela et de reconstruire les liens entre nous. Beaucoup de maladies psychiques sont liées au fait de faire cavalier seul et à cette pression de la performance. Avoir une approche plus collectiviste est donc une grande opportunité. 

Comment se débarrasser des émotions négatives pour aller vers l’action positive ?
Cela peut dépendre fortement d’une personne à l’autre. Certaines personnes disent que c’est précisément cette angoisse ou cette colère qui représente une grande motivation. Pour d’autres, cela a plutôt pour effet de les isoler. Les questionnements sur sa propre motivation sont ici très importants : pour quelles raisons est-ce que je m’engage ? Il y a énormément de raisons sous-jacentes, et, lorsque l’on a identifié ses propres motivations, on peut alors y revenir et en tirer de la force.